La créature de l’ombre

par Funman

 

 

Un soir de printemps, John était là, assis sur l’un des bancs publics du parc de la ville, pensif. Il regardait les derniers moineaux travaillant leur chant. Non loin de là, on entendait le ruissellement de l’eau. Une rivière traversait le parc. Le courant semblait fort. John ne put s’empêcher de pleurer, se remémorant le drame. Depuis deux ans maintenant, il revenait chaque soir dans ce parc pour penser à sa fille Linda, morte noyée. Il n’a fallu qu’une seconde, une seule seconde d’inattention pour détruire une vie tout entière. John ne se l’est jamais pardonné et ne se pardonnera jamais. Il pleurait maintenant à chaudes larmes. Dans le ciel, le soleil laissait place à un mélange féerique de couleurs. Un silence de mort avait remplacé les gazouillis des oiseaux. Plus rien ne semblait vivre, ou alors au ralenti, à l’exception de ce cours d’eau vivifiant, qui formait un parfait contraste avec le paysage. Et John faisait partie de cette nature morte.

Soudain, il se leva puis partit en direction de l’arrêt de bus. Là, il se rassit. Il était seul sous l’abri. Quelques secondes passèrent avant que le bus surgisse au coin de la rue. John attendit que le chauffeur ouvre la porte avant de se lever. Personne dans le bus. Tant mieux. John préférait rester seul. Dans ces moments là, il n’aimait pas être dérangé et Harry l’avait bien compris. Harry ? C’était le chauffeur du bus, environ 1m80, un costaud qui aurait pu exercer une autre profession vu sa carrure, mais il disait toujours que ses problèmes de santé l’empêchaient de changer de métier.

Arrivé à destination, John se leva, salua poliment Harry avant de descendre les quelques marches qui le séparaient de la terre ferme. Une fois rentré chez lui, il s’enferma à double tour et alla se coucher sans même dîner. Dehors, la nuit était clairsemée.

Le lendemain matin, comme chaque lundi, le travail reprenait. 7h30, le réveil sonnait à tue-tête. John eu du mal à se lever. Il rejoignit la salle de bain en traînant des pieds. Il était encore à moitié endormi à tel point qu’il faillit trébucher. Dans le miroir, il vit un homme méconnaissable, visage blafard, cernes, cheveux ébouriffés. Il ouvrit le robinet, prit de l’eau fraîche dans sa main puis se la passa sur le visage. Un flash lui apparut : il vit sa fille se débattre désespérément dans l’eau gelée, emportée par le courant. Que s’était-il vraiment passé ce jour là ? John commençait à perdre quelques bribes de souvenirs. Pourtant l’adage mentionne que le temps efface tout sauf les souvenirs. Mais il semble que John soit l’exception qui confirme la règle. Il était inerte, malgré l’eau fraîche passée sur son visage. Il descendit à la cuisine pour préparer son petit déjeuner, toujours avec ce flash en tête.

En ouvrant le réfrigérateur, il se  rendit compte qu’il était quasiment vide. On comptait les aliments restants sur les doigts d’une main : un litre de lait, une livre de beurre dont la date n’allait pas tarder à être dépassée, un restant de pizza sous cellophane et une part de gâteau au chocolat. Il devenait urgent de faire les courses. John s’empressa de boire son bol de chocolat chaud puis remonta à la salle de bain pour s’habiller. Se regardant une dernière fois dans la glace, il tenta de sourire à cette masse inerte qui reflétait, mais en vain.

 

John était employé dans une société spécialisée dans la vente de matériel de bureau. Il dirigeait l’équipe force de vente. Chaque jour ressemblait à une nouvelle épreuve. Ce n’était pas simple de réussir à vendre là où la concurrence fait rage et il le savait. Pour cela, il s’adaptait aux exigences des clients. Il se souvient d’une fois où un client lui a posé tout un tas de questions pour au final, repartir sans avoir acheter le moindre crayon, la moindre agrafe. L’ouverture n’allait plus tarder et chacun attendait le prospect au garde à vous, dans un costume deux pièces rappelant les pingouins. Pendant ces minutes les séparant du début de journée, ils se récitaient leur cours magistral afin d’être au top au moment de l’argumentaire. John respira un grand coup alors que le premier client rentra. Les pingouins se ruaient tous sur le pauvre homme. John s’aperçut bien vite que finalement, ce dernier était reparti avec un tas d’accessoires. Il n’était pas peu fier de sa jeune équipe.

Le soir venu, John ferma consciencieusement les portes de la société, une fois le dernier client parti. Comme à chaque fermeture, un rituel s’opère. Il faut remettre de l’ordre dans la boutique, compter la caisse, mettre l’alarme, etc. Et il faut aussi rejoindre l’arrêt de bus. Cette fois-ci, un amas de personnes emplissait le couloir. Difficile de se creuse un passage dans cette foule. A plusieurs reprises, John dut forcer quelque peu afin de se frayer un chemin. Après une rude journée, John aimerait avoir plus de tranquillité. C’est décidé, il continuera la route à pied en descendant plus tôt. Ça tombait bien puisqu’il devait aussi passer au supermarché pour trouver de quoi remplir son réfrigérateur. Une fois rentré chez lui, il dut encore s’occuper des tâches ménagères. La vie de célibataire n’est pas de tout repos.

John décida de ressortir pour se dégourdir les jambes et en profita pour faire un détour par le parc. Il longeait le cours d’eau quand un nouveau flash survint. Il se souvint que sa fille Linda tentait désespérément de se battre pour ne pas être emportée. John n’avait rien pu faire. Ce jour là, choqué, il était resté évanoui. Ce n’est que quelques heures plus tard qu’il reprit connaissance, dans un hôpital. Les souvenirs se mélangeaient et il eut du mal à se rappeler les conditions du drame. En fait, il ne se remémorait plus qu’une image, celle de Linda, en train de couler. Le reste, il l’avait oublié, ou plutôt perdu dans son inconscient. Pourtant, il se battait pour découvrir ce qui s’était réellement passé. Il pensait être certain d’avoir assisté à une scène étrange. Tout semblait flou dans son esprit. Autour de lui, les oiseaux se battaient pour quelques miettes qu’un vieillard leur lançait. Il était vêtu d’un imper foncé et d’un chapeau sale. Il paraissait triste. Une bouteille se tenait à côté de lui, à moitié vide.

« Encore un pauvre type exclu de la société », pensait John. Il rentra chez lui pour se préparer un bon bœuf bourguignon. Il se régalait toujours avec ce plat. Après ce copieux repas, il s’allongea sur son lit, laissant ses doigts glisser sur les boutons de la télécommande, jusqu’à tomber sur une émission divertissante. Epuisé par sa journée de travail, il ne tarda pas à s’endormir avec le téléviseur allumé.

 

A son réveil, le soleil éclairait la chambre de mille feux. Il semblait matinal, tout comme John qui avait décidé de faire du jogging avant de se rendre à son travail, histoire de se changer les idées. Vue la température extérieure, il décidé de sortir un short. Mais il n’était pas question de partir le ventre vide. Son petit déjeuner se composait d’un verre de jus d’orange, d’un chocolat chaud dans lequel il pourrait tremper deux tartines de pain beurre confiture. Un solide goûter avant l’effort.

Une fois dehors, il se rendit compte qu’il faisait encore plus chaud qu’il ne l’imaginait. Il prit une bouteille d’eau pour se réhydrater en route. Dans sa course, il rencontra Stacy Keanan, une amie de son ex-femme qu’il n’avait pas vue depuis une éternité. Il la rejoignit sur le trottoir d’en face. Stacy était toujours pleine d’entrain lorsqu’il s’agissait de courir, même par temps de pluie. Il s’échangèrent un sourire, puis quelques mots tout en gardant le rythme jusqu’à ce que John doivent bifurquer pour rejoindre son domicile. Une douche s’imposait.

Pendant sa toilette, il eut un nouveau flash. Cette fois, il se souvint d’un élément supplémentaire. Comment avait-il pu oublier le visage effrayé de Linda. Et pourquoi n’avait-il pas bougé pour la secourir, alors que sa fille implorait son aide à travers son regard ? Quel était ce mal qui l’avait bloqué, cloué au sol ? Il se souvint également qu’il était dans l’incapacité de bouger, qu’il était dans un état léthargique, d’où la perte de connaissance, durant plusieurs heures. Il paraît qu’on l’avait retrouvé allongé sur le sol. John ne se souvenait de rien, ou presque rien. Les bribes paraissaient tellement courtes qu’il croyait avoir rêvé. Mais tout ceci semblait bien réel.

Une fois sorti de la douche, il se prépara pour partir travailler. A son retour, il décidait de passer à nouveau par le parc, pour tenter de trouver un nouvel indice qui lui permettrait d’éclaircir ses absences. Le fait de se concentrer pour retrouver une image lui donnait la migraine. Cette fois-ci, rien ne venait, aucun souvenir. Finalement, ne s’obstinant pas plus, il prit le bus de retour.

Déçu, c’est le mot qui convenait pour décrire l’état de John. Avec sa volonté d’acier, il se jura de recouvrer la mémoire. Il pensa subitement à prendre rendez-vous chez un hypnotiseur. A peine le manteau déposé, il décrocha le téléphone et commença à composer. Malheureusement, aucune place de libre avant deux semaines. Un long moment d’angoisse débuta alors.

 

Le Jour J ne s’approchait pas assez vite pour John, impatient de flirter avec l’étrange. Plus que trois jours. A l’extérieur, il pleuvait averse. Cela fait deux jours que le déluge avait commencé. Stacy Keanan fit un petit signe en direction de John. Il était étonné de la voir trottiner au milieu de cette tempête. Puis, ses yeux se fixèrent sur une flaque d’eau. Les gouttes de pluie s’y ajoutaient une à une. Il s’imaginait le bruit qu’elles provoquaient lorsqu’elles s’accouplaient à la flaque, formant ensuite des ondes de choc qui glissaient à la surface. Il y vit le visage de Linda reflétant comme un ange heureux et paisiblement détendu. Sous ses traits reposés, elle semblait contente. John ne put se retenir de verser des larmes. « Quitte à être inondé, autant l’être par ses larmes », disait-il à voix haute. Après un court instant, il se reprit. Il était temps de partir travailler. Il n’oublia pas le parapluie.

A une cinquantaine de mètres de l’arrêt de bus, John avait encore la gorge nouée lorsqu’il tressaillit à la voix roque d’Harry.

« - Dépêchez-vous Monsieur John ! Par ce sale temps, mieux vaut se mettre à l’abri.

- Je te remercie. C’est vraiment gentil de ta part, rétorqua John

- C’est tout naturel. »

Harry repartit une fois son nouveau passager assis à sa place habituelle. La journée se déroula sans problème, si ce n’est une fuite qui avait inondé les toilettes de la société, les rendant inutilisable. Etant donné le peu de clients ce jour là, John avait décidé de partir plus tôt pour se plonger dans un bon bain chaud une fois rentré.

Les trois derniers jours passèrent doucement. Le rendez-vous était fixé à 18h. John crût bon d’arriver en avance, et de ne pas passer au parc exceptionnellement. Installé depuis dix minutes dans la salle d’attente, il feuilletait nerveusement les revues laissées à disposition. La pendule située au-dessus de la porte donnant sur le hall indiquait 18h05. John vérifia sur sa montre si cela concordait. Ce n’était pas le cas. Laquelle indiquait la bonne heure ? Peu importe au final. « Cela ne devrait plus tarder », pense John. Effectivement, au même instant, un homme d’une quarantaine d’année fit irruption par une seconde porte. Il était vêtu d’un complet marron et d’une paire de chaussures en cuir. Sa cravate attirait l’attention. Les motifs concentriques noirs et blancs représentés rappelaient en tout point les jeux d’illusion d’optique. L’hypnotiseur interrompit le silence régnant dans la salle d’attente.

« - Monsieur Malone ? »

John posa la revue qu’il avait empruntée, se leva, puis suivit « l’hypnotiseur à la cravate étrange ».

 

Il pénétra dans une pièce à haut plafond. De grands rideaux marron cachaient les fenêtres donnant probablement sur la rue. Au centre de la pièce se tenaient une table et plusieurs chaises. Dans un coin, un divan et un fauteuil crapaud de style Napoléon III plutôt confortable. A croire que la profession paye bien puisque la table était en noyer, tout comme la bibliothèque bien garnie, disposée contre le mur et le bureau y faisant face. On y comptait aisément plus de trois cents ouvrages, dont Traité pratique d’hypnose, Ordeal Therapy, ou encore Hypnose Humaniste d’un certain Lockert.

John trouvait ce lieu déprimant. La seule couleur présente, le marron, rendait ce cliché monotone.

«  - Monsieur Malone ? Installez-vous je vous prie. Dans un premier temps, je vais vous expliquer ce qu’est l’hypnose ericksonienne. Il s’agit d’une forme de psychothérapie dans laquelle nous allons déceler le problème avant de trouver les solutions possibles. Pour faire simple, l’hypnose n’est qu’un outil de travail qui vous aidera à faire ressurgir des éléments de votre inconscient et à les mélanger à vos souvenirs conscients. Nous espérons déclencher ainsi des changements qui seraient susceptibles de résoudre votre problème. Surtout ne vous attendez pas à avoir obligatoirement des résultats dès la première séance. Il n’est pas à exclure de nouvelles séances pour arriver à notre objectif. Alors, pouvez-vous m’exposer le but de votre venue ?

- Et bien voilà… Tout a commencé il y a un peu plus de deux ans. Ma fille Linda et moi étions sortis faire un tour dans le parc municipal. Je me rappelle qu’il faisait beau ce jour là, c’était un mercredi. Ensuite, je ne me souviens plus ce qui s’est produit. Ma fille est tombée dans la rivière et je paraissais bloqué par une force invisible. J’aimerai me remémorer toute la scène, savoir ce qui est réellement arrivé à ma chère Linda. Pourquoi n’ai-je pas plongé ? »

La lumière tamisée rendait l’ambiance intime. Ne sachant pas comment se déroulait une séance d’hypnose avant les explications, John restait inquiet. Le psychothérapeute sortit un enregistreur de l’un des tiroirs de son bureau avant de prier son patient de s’installer sur le divan.

« - Monsieur Malone, vous allez commencer par vous relaxer en fermant les yeux. Je vais vous accompagner jusqu’à cet état naturel de conscience modifiée. Pensez à ce lieu paisible qu’est le parc municipal. Vous entendez l’eau du ruisseau ?

- Oui, elle est vivifiante.

- Et le vent frais qui picore vos mains ?

- Oui, elles sont toutes engourdies.

- Focalisez maintenant votre attention, sur ce qui vous entoure. Voyez-vous Linda dans le parc ?

- Elle est à côté de moi. Le soleil brille, les feuilles des arbres ne laissent passer que quelques rayons.

- Concentrez-vous sur votre fille.

- Elle s’éloigne pour aller donner du pain aux oiseaux qui se trouvent dans l’herbe, près de la rivière. Un terrible crissement de pneus détourne mon attention. Je pensais qu’un accident avait eu lieu. Un camion vient d’éviter de justesse un enfant qui traversait la rue. Au même moment, j’entends ma fille qui crie… Non ! Linda ! Elle est tombée à l’eau. Elle se débat, elle hurle « papa »… Linda ! LINDA !!! Au secours ! Je ne peux pas bouger. Je suis bloqué à terre, comme paralysé par une force invisible. Personne ne m’entend. Pourquoi ? Pourquoi personne ne vient ? A l’aide ! Linda ?! Je ne la vois plus ! Elle a coulé. Oh mon Dieu !

- Monsieur Malone, je vais compter jusqu’à trois et vous allez ouvrir les yeux. 1, 2, 3 ! »

D’un claquement de doigts, le psychothérapeute parvint à arracher John de son état subconscient. Ce dernier cligna plusieurs fois des yeux en cherchant un point où fixer son regard. Il découvrit un plafond aussi terne que la pièce sombre dans laquelle il était. Tout en se redressant légèrement, il demanda :

« -  Que, que s’est-il passé ?

- Avant toute chose, je dois dire que ce n’est pas commun. C’est assez étrange tout de même… quand vous vous êtes réveillé, vous souvenez vous du lieu où vous étiez ?

- Oui, c’était dans un lit d’hôpital. Les médecins m’ont confirmé que des gens m’ont retrouvé inconscient dans le parc. Après un rapide diagnostic, il semble que mon évanouissement soit dû à un coup sur la tête mais sans qu’aucun hématome soit apparu. 

- Je vois. Ecoutez, je pense qu’il serait envisageable de nous revoir et d’approfondir tout ça et d’éclaircir certains points lors de la prochaine séance.

- Que voulez-vous dire ?

- Votre traumatisme crânien provient bien de quelque part, or personne ne peut l’expliquer. C’est peut-être un mal inconnu qui aurait frappé de l’intérieur.

- Cela expliquerait l’absence de blessures corporelles.

- Tout à fait. Que pensez-vous d’un nouveau rendez-vous ?

- Il faut que je réfléchisse, que j’écoute l’enregistrement de cette séance, si vous voulez bien m’en faire une copie.

- Aucun problème Monsieur Malone. Dans ce cas, vous verrez avec ma secrétaire pour fixer un nouveau rendez-vous, mais ne tardez pas trop.

- Je vous remercie, docteur.

- De rien, à bientôt Monsieur Malone. »

 

John sortit par la porte qu’il avait empruntée à l’aller. Il traversa la salle d’attente, jeta un œil sur la pendule puis se retrouva dans le hall d’entrée.

« -18h35, je retourne chez moi et j’examine cet enregistrement. »

Aussitôt dit, aussitôt fait. A peine franchi le seuil de sa porte d’entrée, John se mit au travail. Il écouta, réécouta encore et encore la bande. Il était persuadé qu’un fait étrange s’était produit. Linda était assez éloignée du bord et ne ce serait jamais aventurée seule près de la rivière. Après réflexion, John décidé de prendre un nouveau rendez-vous pour une séance d’hypnose. 

Cette fois-ci, il comptait découvrir plus de détails. En attendant, il alla se coucher car demain, le travail reprenait.

 

Plusieurs jours passèrent et la vérité se rapprochait. John était certain que le mensonge s’effacerait ou plutôt le flou redeviendrait net. Ce pressentiment, il le tenait de sa défunte mère. Elle avait un don pour deviner par exemple qui allait surgir au coin de la rue, ou trouver les numéros qui sortiraient à la loterie nationale. John se sentait un peu seul d’un coup ; ses parents disparus, sa fille Linda emportée dans de mystérieuses conditions et son ex-femme partit à l’étranger avec un autre homme. Il se sentait vraiment seul mais commençait à s’y habituer.

Un soir, après le boulot, alors qu’Harry avait fini sa tournée, John l’invita à boire un verre chez lui. Même s’ils ne se parlaient que peu, les deux hommes s’appréciaient et éprouvaient un profond respect l’un envers l’autre.

« - Je vous remercie de m’avoir invité Monsieur John. Il est vrai que nous n’avons pas souvent l’occasion de nous parler hors de mes horaires de travail.

- C’est vrai, et j’avais besoin de compagnie ce soir.

- C’est gentil d’avoir pensé à moi.

- Je vais être franc avec toi Harry, tu es quasiment la seule personne avec qui je parle. Je ne sais pas pourquoi, j’ai confiance en toi.

- Je sais que tous les jours n’ont pas été bleus pour vous Monsieur John.

- Ce sont des choses qui arrivent mais parlons d’autre chose tu veux bien ? Un café ?

- Volontiers. »

La discussion s’ensuivit jusqu’à tard dans la nuit. Les deux hommes avaient fini par se raconter des anecdotes ironiques. Quand Harry regagna son domicile, John alla se coucher, en pensant à l’agréable soirée qu’il venait de passer. Cela faisait tellement longtemps qu’il ne se souvenait même pas de la dernière en date.

 

Le jour J arriva. Il s’agissait du rendez-vous tant attendu chez « l’hypnotiseur à la cravate étrange ». John s’y était préparé comme s’il allait entre sur un ring de boxe. Il se leva sans trop de problème, avala son petit déjeuner et partit au travail comme un jour normal. Le seul changement résidait dans son esprit enthousiaste. Lorsque le bus s’immobilisa devant l’abribus, John se surprit à trouver un remplaçant à Harry. Etait-il bien rentré hier soir ? Qu’a-t-il fait après s’être quittés ? Autant de questions laissées sans réponse pour le moment. La journée passa tranquillement.

Avant de se rendre chez l’hypnotiseur, John avait décidé de faire un détour par le parc municipal, histoire d’observer, de se mettre en conditions. Ce qui l’étonnait, c’était l’étrange solitude qui régnait par ce beau jour de fin de printemps. Par cette chaleur, le parc devrait habituellement être en activité. Cependant, John se sentait épié mais il ne voyait que les arbres et leurs belles feuilles formant une infinité de gants à six doigts. Il s’était rendu compte qu’il avait passé plus de temps que prévu dans le parc, et qu’il allait probablement se mettre en retard s’il restait une minute de plus.

Devant la porte de la salle d’attente, John inspira profondément avant d’y rentrer pour s’asseoir confortablement dans l’un des cinq sièges mis à disposition. Il prit une revue différente de la fois dernière sur la table basse située au centre de la pièce. Il se contentait de tourner les pages sans lire. Lorsque l’hypnotiseur fit irruption dans la salle, John fut attiré par sa nouvelle cravate, cette fois à points noirs.

« - John Malone ? »

A l’annonce de son nom, John se leva d’un trait pour suivre le psychothérapeute, qui l’emmena dans la même pièce morose que la fois dernière. Les mêmes gestes, les mêmes paroles, ces automatismes faisaient de notre homme un extra-terrestre, sans compter son goût immodéré pour les cravates psychédéliques. Tel un robot, il n’esquissait aucune expression humaine. Mais le but de la visite n’était pas de juger ce pauvre bougre qui ne vivait que dans sa couleur marron et en compagnie de cravates fantaisistes. Toute la vérité qu’il recherchait depuis plus de deux ans était enfouie dans son inconscient. Et le moment était enfin venu de la découvrir en partie.

Confortablement installé dans le fauteuil réservé aux patients, John s’impatientait. Le psychothérapeute prépara le matériel et la séance put débuter.

« - Nous allons y aller ? Interrogea l’homme.

- Je pense que oui, je suis prêt.

- Faites le vide et concentrez-vous uniquement sur les oscillations du pendule. Suivez le des yeux. Je vais comptez jusqu’à dix et vous entrerez dans un état de subconscient. Vous penserez alors à l’endroit du drame. 1, 2, …, 10. »

Ne voyant rien venir, John rouvrit les yeux. Etait-ce dû à la méthode différente par rapport à la fois dernière ?

« - Pourquoi ça n’a pas marché ?

- Il est possible que vous n’ayez pas totalement fait le vide dans votre esprit. Détendez-vous, nous allons recommencer. »

La seconde fois fut la bonne. John commença son récit.

«  - Les crissements de pneus ont couvert le paisible calme du parc. Je me retourne vers Linda qui crie. Je la vois sur le bord de la berge. Mon Dieu ! Elle tombe à l’eau, j’ai l’impression qu’elle a été tirée par la même force invisible qui me plaque à terre. Un mal étrange s’empare de mes membres, je suis paralysé. Je suis impuissant et il n’y a plus personne dans le parc. Ils se sont précipités vers la route. Mon regard se trouble. J’ai terriblement mal au crâne mais je lutte pour ne pas sombrer. La force étrange, elle est là ! Je la sens. J’en suis sûr maintenant, c’est ce mal qui a tué Linda et m’a assommé après m’avoir neutralisé. Je ne vois plus rien. Il fait noir. J’entends seulement des voix. Des anges ? Je ne pense pas. Je les écoute, elles parlent de moi…

- Monsieur Malone, interrompit le psychothérapeute, je veux que vous vous réveilliez à trois : 1, 2, 3. »

John commençait à transpirer comme s’il avait fourni un effort surhumain durant ces dernières minutes. Il fixait maintenant un point au plafond, comme pour reprendre ses esprits.

« - Comment vous sentez-vous ? Votre cas semble très intéressant. Nous allons réécouter un passage de l’enregistrement, continua l’hypnotiseur tout en finissant de relever des notes sur son calepin.

- J’ai l’impression d’avoir couru le marathon.

- Oui, c’est bizarre, je dirai même extraordinaire. Je n’ai jamais vu pareil cas.

- Je ne comprends pas.

- Vous allez être surpris vous-même. »

En écoutant l’enregistrement, John commença à faire le lien entre les événements dans le parc avant le rendez-vous et le drame datant de deux ans. Tout devient clair, ou presque. Mais pourquoi un tel mal s’en est prit à lui ? Que faire pour que ce monstre ne s’en prenne à quelqu’un d’autre ? Ce qui était sûr, c’est que ce n’était pas du ressort du spécialiste.

« - C’est incroyable. Il faut absolument que je me renseigne quelque part, savoir s’il y a eu d’autres disparitions étranges ou subites dans les environs.

- Je vous recommande la bibliothèque municipale où vous pourrez accéder sans trop de problèmes à toutes les unes des journaux locaux et régionaux.

- Je vous remercie. Je désespérai un jour de trouver une issue me permettant d’enlever ce poids qui m’empêche de vivre. »

Après les brefs échanges cordiaux procéduriers, John quitta la salle et retourna chez lui. Il veilla assez tard ce jour là, examinant chaque parole de l’enregistrement. La nuit suivante, il se réveilla en sursaut et en sueur. Le désordre de ses draps indiquait nettement l’agitation qu’il avait subie. Il s’assit dans son lit, prit une bouteille d’eau posée par terre et la porta à sa bouche pour se réhydrater. Dehors, le temps lourd laissait présager un violent orage. Soudainement, il prit peur, croyant avoir vu le monstre transparent qui a tué sa fille. Cela paraissait si réel qu’il en tremblait encore.

Dans son mauvais rêve, il s’était présenté au bureau comme chaque jour de la semaine, à la différence près que son patron avait pris l’apparence d’un monstre hideux, avec une tête aux couleurs du mur. Il semblait s’adapter à l’environnement tel un caméléon, pour se camoufler. De grosses mandibules tentaient de cisailler la tête de John. Elles s’entrechoquaient l’une contre l’autre et, tout en se rapprochant, le monstre lança :

« - Viens John, Linda t’attend pour vendre les accessoires de bureau. »

C’est à ce moment précis que le pauvre John s’extirpa de son cauchemar effrayant, puis tâtonna le bord du chevet pour saisir l’interrupteur de sa lampe avant de se redresser pour boire un peu. Il était persuadé qu’il s’agissait du monstre qui avait tiré Linda dans la rivière. En rapprochant les éléments afin de reconstituer le puzzle, il était de plus en plus convaincu que tout concordait et que le plus aberrent pouvait finalement s’avérer le plus plausible.

Son radio réveil indiquait 6h30. Il se leva en avance pour ne pas se replonger dans ce cauchemar. Pétrifié, il se dirigea vers la salle de bain et, tout en stockant de l’eau dans ses mains, se mouilla le visage blafard, comme s’il avait vu un fantôme dans sa chambre.

 

Aujourd’hui, John décida de se rendre à la bibliothèque municipale, afin d’y trouver des indices lui permettant d’avancer davantage. Située en plein cœur du centre ville, la bibliothèque ou autrement appelé médiathèque jouxtait l’hôtel de ville. Cet édifice était surtout convoité par des étudiants peaufinant leurs dossiers de fin d’année. Ce grand bâtiment, à la fois moderne et ancien du fait d’un mélange de briques rouge et de grandes baies vitrées, se dressait tel un géant débouchant sur la rue très animée de Becker’s street. Heure après heure, il balayait de son ombre les marchands ambulants en tout genre : glaces, hot-dog, confiseries restaient les aliments les plus sollicités. Dans le ciel azuré, aucun nuage n’annonçait une perturbation du quotidien de cette rue vivante. Le mois de juillet amorçait un début prometteur en matière de record de chaleur. Les enfants ne perdaient pas une seconde après la sortie des classes, pour se diriger soit à la piscine, soit vers le jardin d’enfants, lieu privilégié pour l’amusement et les rencontres. C’est d’ailleurs là bas que John avait rencontré son ex-femme.

Le bâtiment s’élevait face à lui. Il y entra et se retrouva dans un immense hall où les pas résonnaient. En face, la bibliothèque. John devait se rendre au premier étage pour accéder à la visionneuse sur un poste informatique. Il s’agissait d’un logiciel qui permettait de recenser l’ensemble des articles parus dans les journaux locaux et archivés au fur et à mesure de leur parution. Sur la dizaine de postes, la moitié étaient déjà prises. John s’installa donc sur l’un des ordinateurs encore libre et débuta ses recherches en commençant par le journal paru avant-hier.

Il lui fallait mettre du cœur à l’ouvrage quand on sait que le journal paraissait deux fois par semaine. Il savait donc que son investigation durerait longtemps, pour éventuellement ne rien trouver au bout du compte. Mais ça, il ne valait mieux pas y penser et se concentrer dans l’espoir de trouver un indice.

La médiathèque fermait ses portes à 19h, ce qui laissait deux bonnes heures de recherche intense avant la fermeture, à commencer par le numéro du 30 juin. Evidemment, rien. Au bout de quinze minutes durant lesquelles il ne vit rien de son entourage, pas même les personnes s’étant installées sur les postes en contigües, une dame d’un âge avancé s’approcha et lui demanda :

« - Bonsoir, excusez-moi. Puis-je vous être utile ?

- Je vous remercie mais ça ira.

- Comme il vous plaira, mais si vous voulez un renseignement, n’hésitez pas.

- Merci.

- Si vous le désirez, vous avez la possibilité d’exécuter vos recherches par thème. Par exemple, vous tapez avion dans les mots clés et vous aurez tous les articles utilisant ce terme.

- Cela me sera très certainement utile en effet.

- Bonne recherche. »

John ne répliqua pas aux dernières paroles, tant il était pris dans ses travaux.

« - Si je tape faits divers, ça sera encore trop large. Je vais le combiner avec un autre mot… voyons voir… si je tente noyade… non plutôt étrange. »

Il entra les mots clés. Une interminable liste envahit l’écran. Le premier article traitait de la disparition d’un enfant dans le centre ville. En fin de compte, la petite fille avait fugué et était rentrée quelques jours plus tard. John avait entendu parler de cette affaire. Le deuxième article traitait d’un accident de la route où une voiture, en pleine ligne, avait été propulsée dans un champ à une trentaine de mètres du bord. Durant le temps imparti, John ne fut en aucun cas satisfait. Pensant revenir le lendemain, il vit un écriteau avec le message suivant : « Fermeture pour fête nationale ». Il avait oublié que demain, le 4 juillet, la population sortait dans la rue pour faire la fête.

 

4 juillet – À sa levée,  John voulut faire le point sur l’ensemble des éléments qu’il avait accumulé au cours de ces dernières semaines. Pour lui, cela ne fait aucun doute : il semble avoir affaire à un monstre invisible, un monstre caméléon s’adaptant au paysage dans lequel il évolue. C’est ce monstre qui a emporté Linda dans le fond et qui, par la pensée ou une chose comme ça l’a cloué au sol.

« La télépathie ! C’est ça ! C’est par ce phénomène encore mal connu que je suis resté scotché sur place », conclut John. Il fut tiré de ses soupçons par une bande de gamins déambulant et braillant dans la rue. Ils se battaient pour savoir qui lancera le pétard. John regarda par la fenêtre de sa chambre. Une jeune fille ressemblant étrangement à Linda accompagnait les garnements. Légèrement en retrait, elle patientait que les garçons allument l’un des pétards au bruit désagréable qui vous vrille les oreilles. Il est loin le temps où enfant, John envoyait les pétards dans les jambes des passants avant de prendre les siennes à son cou. Ce n’est que bien plus tard, une fois l’âge de la maturité atteinte, que l’on s’aperçoit que les agissements de l’époque irritaient probablement les adultes comme c’est le cas aujourd’hui.

John Sursauta, surpris par la détonation. La journée risque d’être parsemée de ces engins dangereux. Finalement, elle s’était déroulée sans trop d’incidents, mais dans une fanfare des plus festive. Les gens semblaient heureux. Cette journée de repos restait l’occasion de sortir en groupe à la fête foraine ou voir un film en plein air.

 

Le lendemain, John retourna à la médiathèque afin d’y poursuivre ses recherches, dans l’espoir de trouver un indice supplémentaire. Il venait déjà de remonter deux années en arrière lorsqu’il tomba sur un article parlant de son drame. Le titre du journal criait : «  Une jeune fille disparaît dans le parc bondé ». Le journaliste avait traité le sujet sous la rubrique faits divers sur un quart de page, avec une photo de Linda qu’il avait probablement récupéré au poste de police lorsque je l’avais déposé pour effectuer les recherches. C’était une photo d’identité en noir et blanc, prise dans un photomaton lors de vacances à Miami. Linda adorait les dauphins et John avait décidé de lui faire plaisir pour son anniversaire, qui tombait justement pendant les vacances scolaires. De retour dans la réalité après une brève réminiscence de la sortie au parc aquatique, le malheureux faisait défiler les pages une à une. La recherche par thème avait tout de même affiché plus de deux cents articles, et il semble qu’il faudra de nouveau utiliser cette fonctionnalité avec d’autres mots clés pour peut être approfondir les recherches.

Une demi-heure plus tard, il fut attiré par un fait similaire au drame qu’il a subi et dont le titre ne laissait pas de marbre : « Disparitions en série ». Vue l’heure tardive, il demanda s’il était possible d’imprimer le document

 

Sur le chemin du retour, John se sentait enthousiaste à l’idée d’avoir découvert un indice. A l’arrêt de bus, il commença la lecture mais fut subitement interrompu par le vrombissement intempestif du moteur du bus. Harry conduisait. En montant, John ne put s’empêcher de lui demander ce qui s’était passé après s’être quittés. Apparemment, une simple panne de réveil était à l’origine de son absence, ce qui lui avait valu un avertissement. Au deuxième, c’est le renvoi net et définitif. John semblait navré car il savait qu’il était en partie fautif.

« - Ce n’est pas de votre faute, rétorqua Harry, je savais que je travaillais le lendemain et j’aurai mieux fait de rentrer plus tôt. »

Arrivé chez lui, John s’empressa de lire ce fameux article qui avait fait la Une, ce jeudi 20 février 1992, soit cinq ans avant la disparition de Linda, un mercredi du mois de mai 1997. Les journalistes n’avaient vraisemblablement pas fait le rapprochement entre les deux faits divers. Pourtant, ces deux affaires étranges se sont soldées par la disparition des corps, qui ne furent jamais retrouvés.

 

« Disparitions en série »

Tout laisse à supposer qu’un enlèvement a eu lieu, le troisième en un mois. Simple coïncidence ou réalité ? Les enquêteurs sont sans réponses face aux questions des journalistes. Les faits remontent au mercredi 19 février 1992, alors que les Mc Beth se promenaient en famille dans le parc municipal malgré le froid hivernal qui régnait. Leur enfant Pauline a disparu subitement, d’après leur témoignage. Les secours ayant remué le fond de la rivière, aucun corps n’a été retrouvé. L’enfant se situait pourtant à quelques mètres de ses parents, mais personne n’a réellement été témoin de la scène. Aucun cri, aucun bruit n’avait permis aux Mc Beth de se rendre compte de l’enlèvement de Pauline. Car tout porte à croire qu’il s’agit bien d’un enlèvement. Le mystère reste entier, tout comme pour Louise et Paul, deux victimes du manque de vigilance de leurs parents.

 

John explosa de colère à la lecture de ces derniers mots.

« - Pour qui se prennent-ils ces maudits journalistes !? » Au fond, ils ont peut-être raison mais ce n’est pas la peine d’endoloriser davantage les familles en deuil, car elles savent qu’elles ne reverront probablement jamais leurs chères têtes blondes.

« - Mais que faire pour arrêter ce massacre d’innocents ? Mon Dieu, aidez-moi ! Je vous en prie »

Les jours suivants, John les avait passé dans un état de dépression. Il se laissait prendre au jeu du « monstre ». Vu son état, il décida de prendre quelques jours de congés pour se ressourcer. Le matin, c’est jogging pour la remise en forme, suivi d’une douche virulente. Il courait d’ailleurs aux côtés de Stacy Keanan. Ils avaient même fini par sympathiser et John l’avait invité un soir à goûter un succulent bœuf carottes comme il savait les faire. Ce soir là, Stacy arriva un peu en avance. A l’extérieur, l’été n’était guère généreux et la première chose que vit John fut les cheveux de Stacy, collés à cause de la pluie battante.

« - Ma pauvre Stacy. Rentre donc !

- Bonsoir, comment vas-tu ?

- Et bien un peu mieux, depuis que tu es arrivée.

- Merci, c’est gentil, répondit Stacy avec un grand sourire. »

La soirée se déroula comme prévue et John avait fini par avouer son point faible pour les jolies femmes telles Stacy.

« - Oh John, ne précipite pas les choses, dit-elle en rougissant comme une tomate. Laissons faire le temps, on ne se connait pas encore assez.

- Tu as peut-être raison, je dois d’abord résoudre quelques problèmes avant.

- Je t’aime bien tu sais mais…

- Chut, l’interrompit John en l’embrassant.

- Je, je dois partir, bégaya Stacy.

- Tu peux rester si tu veux.

- Non, je ne pense pas que ce soit la meilleure chose à faire.

- Très bien. N’hésite pas si tu changes d’avis, la porte est ouverte.

- Bonne nuit John. »

Stacy repartir comme elle était venue. De la nuit, John ne put s’empêcher de penser à elle, à sa peau si douce, à ses longs cheveux couleur blé, et à ses jolis yeux bleu océan.

 

Après une semaine de vacances, John se remit à ses activités quotidiennes, ainsi qu’à la recherche d’un monstre invisible. Et pour commencer, rien de tel que de reprendre l’habitude de se promener dans le parc municipal. Le temps, très estival, rendait une multitude de personnes heureuse. John observait la vie s’animer autour de lui. Il repensait fort à Stacy. Parfois, un pincemenet au cœur le rendait triste, lui donnait le cafard. Il sentait bien que le fait de s’être rapproché d’elle lui a permis d’ouvrir ses sentiments mais cela n’est pas sans conséquence car l’amour fait autant de bien que de mal.

John longeait maintenant la rivière qui serpentait la ville, scrutant le fond de l’eau. Pendant des semaines et des semaines, il ne trouva aucun monstre invisible à tel point qu’il commençait à douter. Etait-il devenu fou de croire sérieusement qu’une telle bestiole farfelue puisse exister en ce monde ? N’était-ce pas plutôt l’une de ces légendaires créatures qui sortaient de l’imagination de nos grand-mères prêtes à tout pour rester attractives aux yeux de leurs petits-enfants, les longs soirs d’hiver au coin du feu ? Une de ces légendes urbaines qui glace le sang ?

Les feuilles se ridaient puis virevoltaient au vent, pour finalement s’amasser dans un coin. Le soleil, habituellement généreux de ses rayons, se laissait surpasser par les nuages. L’air étouffant de l’été laissait place à un petit vent frais le matin et agréable l’après-midi. L’automne pointait le bout de son nez. La promenade dans le parc était passée à un jour sur deux. La vie urbaine ralentissait sa cadence pour passer un hiver paisible. Mais un certain monstre en avait décidé autrement.

 

Terrée dans les fonds marins, abritée dans une caverne encore inexplorée par les humains, une bête féroce se préparait à un mauvais coup. Elle se sentait prête à faire surface pour attaquer. Son garde manger vide, il fallait le remplir de chair fraîche. Les jeunes enfants semblaient tout indiqués comme plat de résistance, pour ce carnivore sans vergogne.

Physiquement hideuse, cette créature ne ressemblait à rien de vraiment connu sur Terre. Elle possédait une vraie tête à faire peur les enfants lors d’Halloween, avec une série de pics en dents de scie sur le sommet du crâne. Elle savait s’adapter dans l’élément où elle se trouvait, comme un caméléon, à la différence qu’elle était capable de se rendre transparente, afin de se fondre complètement dans le décor. C’est d’ailleurs cette faculté qui lui permet d’évoluer facilement dans les rivières, son lieu de prédilection. Avec ses mains entrelacées de palmes, on pouvait l’identifier comme un monstre sorti tout droit d’un film de science-fiction. Son habillage d’écailles le classait tout de même dans la catégorie des reptiliens aquatiques à l’époque de la préhistoire. En revanche, sa taille avoisinait la taille d’un adulte humain.

 

Pour son anniversaire, John invita quelques amis qu’il ne voyait que très peu dans l’année, ainsi que Stacy, bien entendu. La soirée se déroulait lentement, mais toujours trop vite pour l’instigateur qui tentait de séduire sa jolie invitée privilégiée. Détendue, celle-ci riait aux histoires drôles que se renvoyaient deux anciens copains de la classe élémentaire de John. Personne ne pouvait les arrêter et les thèmes se diversifiaient de plus en plus. Difficile de croire que l’on puisse connaître un éventail aussi conséquent d’histoires. Avec l’alcool en prime, les deux compères se lâchèrent de plus belle en se lançant dans des thèmes plus osés ou plus infantiles, pour la plus grande joie des autres convives, ivres de rire aux enfantillages incessants. Vers 4h du matin, la quasi-totalité des invités avait déserté les lieux, retournant tant bien que mal à leur domicile pour certains. Seule Stacy restait. Prête à partir à son tour, John la retint par le bras puis l’embrassa fougueusement. Il l’invita à se diriger doucement dans sa chambre.

Au petit jour, les deux nouveaux tourtereaux semblaient très fatigués et ne purent se lever. Tragédie pour l’une, qui n’ira pas courir pour la première fois de l’année, et tragédie pour l’autre, qui ne se rendra pas au travail prétextant une maladie banale. Ils passèrent le restant de la matinée au lit, enlacés dans les bras l’un de l’autre.

Avoir passé quelques jours avec Stacy permettait à John de mieux la connaître. Elle travaillait dans la vente de produits diététiques à domicile, ce qui expliquait l’endurance qu’elle devait tenir. Il est vrai qu’aux Etats-Unis, et plus particulièrement dans le quartier, la plupart des habitants rouleraient comme des ballons si on les poussait, d’où un incroyable marché porteur. Une fois par mois, Stacy se rendait au siège social à Détroit. Elle devait traverser plusieurs états pour s’y rendre. Quand elle ne prenait pas l’avion, elle s’arrêtait dans ces petits motels en bordure de route pour faire le plein et se ressourcer. Les mêmes que l’on voit dans ces films d’horreur où le gérant paraît louche au premier abord et où les mouches se relaient pour garder l’entrée des toilettes. John profiterait de la prochaine absence de sa nouvelle petite amie pour résoudre ses problèmes personnels et redémarrer une nouvelle vie.

 

Durant l’une de ses promenades dans le parc, au bord de l’eau, il s’aperçut qu’une forme aqueuse se déplaçait lentement à contre courant. Il la suivit jusqu’à ce qu’elle disparaisse complètement. Quelques minutes passèrent, puis elle réapparut. Il s’agissait de la créature ! Elle s’était d’ailleurs rendue compte qu’on l’épiait. Sans mouvement brusque, elle poursuivait à remonter le courant, comme si de rien n’était. Que cherchait-t-elle ? De nouvelles victimes ? John se baissa pour ramasser des pierres.

Brusquement, la bête surgit de l’eau et se matérialisa en un monstre hideux, sous les yeux ébahis de John, pétrifié sur place. Elle sortit un long pic d’environ trente centimètres de son bras gauche. Immobilisé, John forçait pour bouger, mais sans succès. Alertée par un couple et leurs bruyants enfants, la créature s’enfonça dans les eaux de la rivière de peur que l’on s’aperçoive qu’un monstre existe et par conséquent, peur d’être traquée, comme c’est actuellement le cas par John, qui retrouva instantanément l’usage de ses membres. Tout flageolant, il tituba jusqu’à son domicile, comme un boxeur à demi K.O. Eprouvé par cette rencontre spéciale, il comptait bien réitérer l’exploit mais avec prudence cette fois. Trouver le repère était devenu une priorité.

« Si elle nageait à contre-courant, il semble qu’elle ait élu domicile en amont de la ville », pensait John. Pour en avoir le cœur net, il irait un œil le lendemain. Pour l’occasion, il avait loué un vélo. Etant donné le brouillard à couper au couteau qui paralysait la ville, John avait repoussé sa sortie à l’après-midi. La nappe blanchâtre s’était dissipée peu à peu, durant le repas, laissant entrevoir un ciel gris et menaçant. En grimpant sur le vélo, John se sentait d’attaque pour pédaler toute la journée. Il était prêt à soulever des montagnes pour venger sa défunte fille. Le fond de l’air humide et frais ne fit pas rebrousser chemin à ce malheureux John qui avait omis de prendre des gants. Le bout de ses doigts rougissait au fur et à mesure qu’il avançait. De rouge, ils prenaient une étrange teinte violette avec un soupçon de bleu par endroit. Le cycliste en herbe longeait les champs puis escaladait les côtes pour finalement ne trouver rien qui pourrait ressembler à un abri. De plus, la pluie crachinait ses acides gouttelettes. Le ciel avait revêtu son épais manteau blanc.

Bredouille, John s’empressa de rentrer avant la tempête. Il ne lui restait plus beaucoup de temps avant le retour de Stacy, seulement deux voire trois jours au grand maximum. Le lendemain sera-t-il le jour J ? Simplement, le temps interdisait toute sortie. Les rafales de vent se succédaient. John se contenta d’aller voir un film au cinéma histoire de se détendre. Il s’agissait d’un film français dont le synopsis laissait présager un bon moment à passer en compagnie d’acteurs de renommées. Et John ne s’était pas trompé en ayant choisi ce film. Il ressortit de la salle avec un mal de ventre dû aux abdominaux qui avaient travaillé durant plus d’1h30. L’histoire se déroule à l’époque du Moyen-âge pendant laquelle un chevalier et son écuyer vont parcourir les couloirs du temps pour sauver le père de sa promise. Simplement, ils sont expédiés en 1993 et les technologies vont les surpasser. « The Visitors »

John n’allait que très rarement au cinéma étant donné que son travail lui mangeait une bonne partie de son temps. Comme à l’accoutumé, il retrouva Harry à son poste de chauffeur de bus. S’asseyant près d’une fenêtre, son regard se perdait dans l’obscurité des ruelles, repensant au monstre.

Pour conclure sa soirée, John comptait se délasser dans un bon bain chaud. Confortablement installé, il se laissait flotter et s’apercevait que la théorie d’Archimède tenait la route à n’en pas douter. Ses yeux le picotaient. Il ne put résister à l’appel de Morphée, le regard fuyant puis les paupières battantes à un rythme plus soutenu. Subitement, il sursauta, en ayant vu une ombre passer devant la fenêtre de la salle de bain. Un clochard ? Une hallucination ? Le monstre ? Quoiqu’il en soit, John s’éjecta de la baignoire, enfila un peignoir puis, aux aguets, suspecta le moindre bruit. Il fut étonné d’avoir vu quelque chose ou quelqu’un à une fenêtre située tout de même au premier étage. Etait-ce simplement un animal ? Il fallait supposer que non en entendant les bruits indescriptibles qui crépitaient au rez-de-chaussée. Un individu s’était sûrement introduit par la porte de la cuisine laissée ouverte. John s’empara de sa batte de base-ball, qui avait pris la poussière sur l’étagère dans sa chambre. Il descendit à tâtons pour surprendre le pilleur. Le calme assourdissant était revenu. Un autre bruit surgit de la cuisine. John longea le mur, jusqu’à atteindre l’interrupteur. Son cœur palpitait à tout va, provoquant des bruits sourds bien distincts et réguliers. Il franchit le seuil de la cuisine puis s’empressa d’allumer la lumière. Son regard balaya la pièce, sans rien trouver. Tout était à sa place.

La créature transparente se tenait debout derrière John. Tout en se retournant, il reçut un coup au visage qui le mit K.O. La batte tournoyait sur elle-même avant de s’immobiliser. Les yeux injectés de sang, la bête bondit sur le malheureux sans défense et lui enfonça son pic dans le ventre. Dans un hurlement de douleur, John rampa jusqu’au téléphone mais reçu le coup de grâce, le propulsant dans un lieu mystérieux, empli de lueurs blanchâtres. L’une d’elle se rapprocha et prit l’apparence de Linda.

« Papa, la créature que tu cherches se situe dans une grotte, sous la mini-cascade. Tu peux y arriver, je compte sur toi papa. Je compte sur toi pour qu’elle ne fasse plus aucun mal à un enfant ». John sortit de son cauchemar, l’eau de son bain était froide. Il saisit une serviette puis s’essuya énergiquement le dos. « Il faut absolument que j’y aille, que j’en ai le cœur net », pensait John.

A la lueur du jour, il entreprit d’affronter une espèce de mythe sorti tout droit d’un film d’horreur, au péril de sa vie. Avec lui, il prépara le matériel nécessaire pour s’assurer la victoire : un revolver six coups, un couteau de cuisine, un T.A.S.E.R. et une lampe torche. Pour se prémunir des éventuels assauts, il enfila trois gros pulls. Il savait que cela ne suffirait pas mais c’était psychologique.

 

Ni une, ni deux, il enfourcha son vélo et pédala comme un dératé, ne sachant pas exactement le danger qui le guettait sous la cascade. En revanche, il n’eut aucune difficulté à trouver le lieu, par ailleurs désert à deux miles à la ronde. La répercussion du coup de feu aurait pu ameuté tout le quartier s’il y avait eu des voisins. John lâcha son vélo dans l’herbage puis avança prudemment, longeant le cours d’eau vivifiant. Il se situait à présent au-dessus de la cascade. Les tonnes d’eau se déversaient dans un petit lac qui s’était formé avant de se retransformer en rivière. John pris l’initiative de descendre le long de la cascade, jusqu’à atteindre l’entrée de la grotte. A hauteur de celle-ci, il enjamba les flaques en s’aidant des parois et de grosses pierres émergeant de la surface de l’eau. Le passage à se frayer sous les trombes d’eau promettait une bonne douche glaciale. Il n’avait pas pensé à l’imperméable.

Une fois à l’intérieur, il brandit une lampe torche. La grotte semblait profonde et humide. Il ôta son sac à dos pour en sortir le revolver, qu’il accola à la torche comme dans les séries télévisées. Il avançait toujours prudemment. Ses bruits de pas étaient couverts par le ruissellement de l’eau. De petites bêtes rampaient à même le sol. Plus loin, des cadavres de rongeurs jonchaient le sol. En se retournant, John se rendit compte qu’il ne voyait même plus la cascade. Devant lui, un gouffre se dressait, prêt à refermer sa mâchoire de pierres. Quelques stalactites ornaient les plafonds de la caverne, reliées au sol par de petits filets d’eau s’écoulant en continu. Il ne devait plus être loin du repère du monstre qui l’attendait peut-être aux aguets. John redoubla de vigilance et tentait d’instaurer un silence de mort mais les petits cailloux croulaient sous ses pas. Soudain, sa lampe inonda de lumière un dessin dans la pierre. Cela représentait des symboles mais sans grand intérêt. En continuant ses recherches, il vit enfin le fond, mais aucun aménagement n’apparaissait à l’horizon, ni l’ombre de monstre. S’était-il trompé ? Il avait beau balayer les parois avec sa torche, il s’agissait bien d’un cul de sac.

« Comment ai-je pu arriver ici alors que ce n’était qu’un rêve ? », se demanda-t-il. De retour vers l’entrée, John décida de remonter en selle et de retourner chez lui. Le soleil se dressait presque au zénith. Une heure avait dû s’écouler pendant sa folle excursion. Une fois chez lui, il ne put réfléchir convenablement et pris le soin de vagabonder à travers la ville, en passant par le métro.

C’était amusant de voir les regards perdus des voyageurs dans leur profonde solitude. Pas un seul ne croisait le regard de John qui aurait bien besoin de réconfort. Certains, les yeux vidés d’expression, regardaient leur reflet dans les vitres du métro tandis que d’autres s’enfonçaient dans leur lecture, évitant d’affronter indiscutablement le jugement des autres ; le « train-train » quotidien en quelque sorte. Parfois, des mendiants accordéonistes les sortaient de leur torpeur un instant, soit par intérêt, assez bref de surcroît, soit pour se replonger de plus bel et davantage concentré dans leur lecture, comme si rien ni personne ne pouvait les arrêter ou alors comme si le livre ou le journal était à ce point passionnant. En résumé, les trajets en métro demeuraient une lassitude. Que faire de plus que de regarder les affiches publicitaires défiler, les passants ou son propre destin ? Rien. Tel un zombie, John leur emboîtait le pas au fur et à mesure qu’il empruntait le métro. Heureusement pour lui, ce n’était qu’occasionnellement.

 

Stacy était revenue de son voyage ce qui n’arrangeait pas les affaires de John, manquant une occasion d’enterrer ses problèmes à jamais. Cependant, il repensait à cette grotte. Comment savait-il qu’il y en avait une à cet endroit ? En rassemblant tous les éléments, tout semblait concorder. Le monstre invisible remontant la rivière puis cette grotte maintenant, sous une cascade. Patience, il décida de revenir lorsque Stacy travaillera. Le lendemain matin, la jeune femme s’interrogea :

« - Tu m’as l’air bien pensif depuis que je suis rentrée.

- Oh ! Rien de bien important. Juste quelques problèmes professionnels à résoudre, des papiers à remplir, tu sais ce que c’est le travail, rétorqua John.

- C’est sûr. Et pour te faire oublier

tout ça, je vais te préparer un bon dîner ce soir, avec une surprise pour le dessert, si tu es sage.

 

- J’ai hâte d’être à ce soir. Mais pour l’instant, j’ai intérêt à me dépêcher si je ne veux pas être en retard.

- Moi aussi. A ce soir et fais attention à toi. »

 

John avait déjà rassemblé l’indispensable. Le vélo de location sorti, il ne restait plus qu’à l’enfourcher et à pédaler sous le ciel menaçant. Arrivé à la grotte, John sortit son pistolet six coups du sac. Il revérifia qu’il était bel et bien chargé. L’endroit le frigorifiait. A peine entré, ses yeux n’eurent aucune difficulté pour s’habituer à l’obscurité. Sa lampe torche dans la main gauche, il avançait avec précaution. Tremblant et patraque, il manqua de se fracasser le crâne contre la paroi à deux reprises. A mi-parcours, John ne se sentit en aucun cas en sécurité, même avec une arme. D’autant qu’il sentait un regard insistant et menaçant. En balayant la grotte, il vit quelque chose se mouvoir dans le faisceau de la torche. Le monstre se tenait, là.

C’est dans ces moments que l’on aimerait avoir quelqu’un à ses côtés. Pourquoi n’avait-il pas prévenu la police ou convaincu un ami de venir ? Peut-être parce qu’on l’aurait pris pour un fou. Et puis, « Ce qui se fait de grand, se fait dans le silence », disait Erik Geijer. John se devait de débarrasser le monde de cette créature verdâtre. Rassuré, il brandit de nouveau l’arme à feu. Bras tendus, il le pointa vers le monstre qui ne semblait pas être inquiété et s’avançait, comme s’il ne flairait pas le danger. Quant à lui, John reculait, sans même s’en rendre compte. Une lame jaillit du bras gauche de la bête, puis une autre de son bras droit, comme une mante religieuse.

Dorénavant paralysé par la peur, John se crispa puis tira à deux reprises. Les balles prirent la direction du thorax où elles franchirent une première carapace, puis une seconde couche avant de disparaître, englouties dans ce qui ressemble à un estomac. Un filet de sang noir s’écoula mais la bête continua d’avancer, comme si elle n’avait rien senti. Elle ne se trouvait plus qu’à quelques pas de John, toujours pétrifié. Il vida son chargeur sur le monstre puis continua à presser la gâchette comme si de nouvelles balles allaient sortir du canon. Sous la pluie offensive, la créature s’écroula, soulevant de la poussière qui s’agitait dans le faisceau lumineux de la torche.

Reprenant ses esprits, John se dit qu’il a failli y passer. L’affreuse créature bougeait encore à terre. Puis, dans un gémissement strident, elle se releva au grand étonnement de John, qui n’en croyait pas ses yeux. Comment était-ce possible après avoir pris six balles dans le corps ? Dans une panique incommensurable, il lâcha la torche pour se jeter littéralement sur son sac. En tâtonnant rapidement, il ne trouva rien. Il s’empressa alors de ramasser la torche. L’alien poussa de nouveau un cri d’effroi. En éclairant dans sa direction, John se rendit compte que les impacts de balles se résorbaient jusqu’à disparaître totalement, tels un château de sable s’écroulant pendant la marée jusqu’à ne rien laisser paraître. Déplaçant ensuite la lumière vers le bas, comme abasourdi, il se rendit compte que la créature avait repris sa marche lente vers sa proie. Il était temps de se mettre en quête d’une issue de secours. Collé contre le mur, John regarda la paroi humide et lisse mais l’escalade n’était pas la meilleure solution étant donné l’érosion de la pierre. De fins filets d’eau coulaient inlassablement d’on ne sait où. Ils devaient se situer au-dessus d’une rivière ou d’un point d’eau. Il avait beau regarder autour de lui, John ne voyait aucune sortie d’urgence, aucun échappatoire face à ce monstre qui brandissait maintenant son bras droit avant de le rabattre dans un mouvement rotatif. Il déchira le premier pull, égratignant au passage le bras gauche de John. A peine le second coup porté fut esquivé de justesse qu’un troisième, cette fois mortel, vint frôler le visage apeuré du responsable de l’équipe force de vente. Ce dernier parvint à s’extirper de cette position pour s’éloigner temporairement du danger. Fouillant de nouveau à tâtons dans son sac, John en extrait une lame. Sans hésitation et avec rage et détermination, il lança le couteau qui se brisa contre la paroi avant de retomber au sol. Avait-il usé sa dernière cartouche ?

En tentant de s’enfuir à toutes enjambées, le sac à la main, il sentit une présence lui passer par-dessus. Avec une rapidité surhumaine, la bête avait réussi à le devancer en se postant devant la chute d’eau. Il stoppa net sa course, sous la masse pesante et menaçante de son adversaire. Terrorisé et abandonné de tout espoir, il se recroquevilla sur lui-même, se protégeant la tête entre ses mains. Il revoyait sa vie défiler jusqu’à ce qu’il soit ébloui par sa fille, apparaissant dans un halo de lumière. Elle le supplia d’arrêter le monstre, coûte que coûte. Extirpé de son hallucination, il s’empara de son appareil à décharges électriques.

« - Il est temps pour toi de retourner en enfer ! », s’exclama John. Dans un élan de courage, il mis l’appareil en route puis le plongea dans la flaque d’eau où la créature avait mis les pieds. C’est dans un hurlement à déchirer les tympans que celle-ci s’agenouilla, l’électricité sortant par tous les orifices, avant de s’effondrer lourdement sur le sol. Apparemment, John avait trouvé le point faible mais il n’en était pas sûr. Rien n’indiquait que l’ennemi ne se relèverait pas dans une ultime tentative. Il laissa donc le tazer plongé puissance maximal, jusqu’à ce que de la fumée s’échappe de la bête carbonisée.

Tout s’était fini aussi soudainement que les choses avaient commencé. Le choc avait fait vaciller John qui s’adossa au mur, puis se recroquevilla à nouveau. Il repensa à sa fille, Linda, disparue au printemps 1997.

« - Te voilà vengée, rétorqua John, ainsi que tous les enfants disparus. » Une vie heureuse pouvait dorénavant commencer.

 

Quelques années ont passé, John parvient à retourner dans le parc de la ville, le cœur libéré. Lorsqu’il s’assoit sur un banc public, il n’est plus pensif, il respire à pleins poumons et sait que Linda reste fière de son papa. Il contemple la lumière à travers le feuillage des arbres puis son regard descend lentement jusqu’à observer le courant d’eau, avant de terminer sa course sur le landau qu’il berce d’une main assurée. Son autre main ? Elle enlace Stacy. Et rien que ce moment donnera un sourire inébranlable à un homme comblé et fier de ses choix.

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